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Jean-Louis Missika


Membre du Conseil de Paris et adjoint au maire de Paris chargé de l'urbanisme, de l'architecture,
​des projets du Grand Paris, du développement économique et de l'attractivité

Depuis une petite vingtaine d’années que ces structures existent, elles ont permis l’éclosion de plusieurs success stories. Criteo, première société française à s’introduire sur le Nasdaq depuis quinze ans, fin 2013, est née il y a dix ans dans les locaux d’Agoranov, l’un des plus anciens incubateurs parisiens, près de Montparnasse. Pretty Simple, l’une des start-up les plus en vue dans le jeu vidéo, qui a développé Criminal Case, un jeu qui a séduit plus de 100 millions d’utilisateurs dans le monde sur Facebook, a été fondé à Paris Tech Entrepreneurs, l’incubateur de Télécom Paris Tech. Et Mesagraph, passé par l’accélérateur Le Camping, a été racheté par Twitter pour 10 millions de dollars. Des success stories qui poussent de plus en plus de jeunes à opter pour la création d’entreprise et à postuler dans ces incubateurs. “Nous recevons 30% de dossiers en plus chaque année”, affirme Elise Nebout, responsable du Camping.

Ils ont poussé comme des champignons, ces dernières années à Paris. 
Un coup d’oeil sur la carte de la capitale suffit à s’en rendre compte. Paris a misé à fond sur
le développement des incubateurs pour booster son économie numérique. Objectif: rattraper le retard pris
par rapport à Londres, voire Berlin. ​“Notre stratégie clairement assumée est de spécialiser Paris dans l’économie de l’innovation, affirme Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé de l'urbanisme,
de l'architecture, du développement économique et de l'attractivité. Toutes les villes globales sont sur
ce créneau car elles seules peuvent le faire: il faut pouvoir réunir des talents, des laboratoires de recherche, des universités, un tissu de PME, de start-up…”
 A Paris, où l’esprit d’entreprendre est peut-être moins développé qu’à Londres, par exemple, on a misé sur le concept d’incubateur. Les entrepreneurs en herbe peuvent y trouver un encadrement, des conseils administratifs, juridiques, une aide au marketing
​et à la communication, un réseau pour trouver des collaborateurs, de premiers clients ou des fonds…

Collaboration public-privé

Paris, capitale des incubateurs 

“La mayonnaise a pris, se réjouit pour sa part Jean-Louis Missika. La preuve de notre succès, c’est que de plus en plus de grands groupes viennent nous voir et s’investissent eux-mêmes dans la création de structures.” C’est ainsi que la SNCF a initié un incubateur autour du “voyageur connecté”, Renault a créé le sien sur le thème de la “mobilité connectée”. Il y a quelques jours, encore, GDF Suez a lancé son incubateur “pour une meilleure énergie dans la ville”. On y trouve une start-up spécialisée dans la gestion de l’eau et des déchets, une autre dans le covoiturage, une troisième dans la robotique… Ces incubateurs sont portés à la fois par des fonds publics et privés et favorisent le rapprochement entre start-up et grands groupes. Pour les grosses sociétés, il s’agit de se rapprocher de l’innovation et d’identifier les talents. Et tous les secteurs s’y mettent, du tourisme à la cosmétique en passant par les transports.

Mais, pour convaincre, les structures en place doivent aussi présenter du concret et démontrer leur utilité. Exemple avec Sharepay, une start-up passée par la sixième promotion du Camping, l’accélérateur du NuMa. Cette application permet de calculer les dépenses de chacun au sein d’un couple. “En arrivant dans l’accélérateur, nous avions en tête un projet complètement différent, explique David Finel, co-fondateur de Sharepay. On nous a remis en question, on a pu tester notre concept, qui était une solution de partage des dépenses entre amis qui partent ensemble en vacances. Et ces tests n’ont pas été concluants, c’était beaucoup trop segmentant. On a donc basculé sur notre solution actuelle qui, elle, rencontre son public. Sans ces regards extérieurs, ce défi permanent, on aurait sans doute continué dans la même voie.” Sans oublier que les incubateurs répondent à des problèmes pratiques qui peuvent polluer la tête des jeunes entrepreneurs. “C’est le lieu idéal pour mener un projet sans être abandonné à soi-même, confirme Henri de Chanville, fondateur de LumiTHD, une start-up qui souhaite apporter de l’innovation dans le déploiement de la fibre optique. On est hébergé, formé, cela évite pas mal d’ennuis.”

Choc culturel

La formule peut entraîner un vrai choc des cultures. Car presque tout, dans les start-up, diffère de la culture d’entreprise traditionnelle. Méthodes de travail, hiérarchie, rythme… Les incubateurs s’adaptent à cette culture, en offrant par exemple des horaires d’ouverture flexibles et des espaces favorisant l’échange. “Nous développons les espaces informels, indique Pierre Grange, de la Régie Immobilière de la Ville de Paris (RIVP), maître d’oeuvre du chantier du boulevard McDonald. Pour les zones de bureaux, l’idée est d’être le plus flexible possible, en pouvant s’adapter rapidement, en proposant de petites surfaces pour les projets qui démarrent à peine, jusqu’à des bureaux beaucoup plus grands, selon les besoins de chacun. Avec tous les services modernes, bien sûr, la fibre, des serveurs et des espaces de détente.”

Le poids des réseaux

La vie après

Au total, on compte aujourd’hui plus de 40 incubateurs, rien qu’à Paris intra-muros, certains mis en place par la Ville de Paris ou la Région Ile-de-France, certains mis en place par des associations professionnelles, des structures indépendantes ou de grandes entreprises, d’autres par des écoles. Et une dizaine d’autres devraient ouvrir leurs portes dans les mois qui viennent. Plus de 1.500 start-up sont ainsi “incubées”. Et tout cela sans compter les projets pharaoniques du 19e arrondissement, boulevard McDonald (15.000 m2 d’anciens entrepôts seront dédiés aux start-up à partir de la fin de l’année), du stade Jean-Bouin, qui doit accueillir pour l’Euro 2016 de football des start-up du monde du sport, et de la Halle Freyssinet, où Xavier Niel veut monter le plus grand incubateur de start-up, accueillant 1.000 start-up et plus de 3.000 entrepreneurs, sur 30.000 m2, à partir de la fin 2016. Ou encore les “accélérateurs”, réservés aux projets plus matures, aux entreprises déjà constituées qui souhaitent étoffer leur réseau et s’entourer de “mentors”.

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Chiffres relatifs aux incubateurs gérés par la mairie de Paris

Cette opération séduction ne se limite plus, désormais, aux seules frontières de l’Hexagone. Pour remplir les centaines, voire les milliers de places en incubateurs dans les prochaines années, Paris veut rayonner bien au-delà et attirer les start-up ​étrangères. Londres a réussi à le faire, grâce au dynamisme de son écosystème financier, Paris compte sur les infrastructures et le rayonnement culturel. Objectif, à terme: que 30% des places en incubateurs soient réservées à des projets internationaux. “Paris a vocation à devenir une usine à start-up, confie Jean-Louis Missika. La montée en puissance se confirme dans tous les classements internationaux.”

506

entreprises hébergées

depuis l'ouverture des incubateurs fin 2013

39

entreprises

emploient plus de 20 salariés

79

% de réussite

des entreprises depuis plus de 10 ans

404

chiffre d'affaires

(M€) en cumulé en 2013

4329

emplois créés

au 31 décembre 2013

Immersion dans la vie d'un incubateur


Visite du NUMA, le bâtiment dédié au numérique en plein centre de Paris. Dans le Sentier, il abrite événements, espaces de co-working,
​ainsi que l'accélérateur Le Camping, d'où sont déjà sorties plusieurs start-up reconnues. 

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Itinéraire dans le Paris des incubateurs

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03 - Poids des réseaux

04 - “Zéro bullshit”

05 - La vie après

Construite entre 1927 et 1929, la Halle Freyssinet servait à stocker des marchandises à quelques pas de la gare d'Austerlitz.
​Le batiment était laissé à l'abandon ces dernières années. Classé, le toit est la seule partie qui a été intégralement conservée.

02 - Choc culturel

01 - Public-Privé

01 - Public-Privé

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Emmanuel Carli

Directeur général de l'Epitech


J’espère juste qu’on n’est pas en train de créer
un mirage pour des milliers de jeunes. Car on parle beaucoup des entrepreneurs qui réussissent, jamais de ceux qui se plantent. Or, il est important de dire
les choses telles qu’elles sont et l’échec fait partie
du parcours d’un entrepreneur.

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Pascale Massot

Responsable de Paris Tech Entrepreneurs


Il ne faut jamais laisser les entrepreneurs
seuls face à leur projet. Nous sommes là
pour leur poser la question qui tue,
celle qui va les titiller.

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“Zero bullshit”

Un incubateur en chantier : la Halle Freyssinet


Fin 2016 ou début 2017, ce sera “le plus grand incubateur au monde”, avec 1.000 start-up accueillies. Pour l'instant, c'est un chantier pharaonique. 

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Texte : Nicolas Rauline

Réalisation : Pierre Demoux, Julien Feret, Thomas Guillembet, Laurence Lecoeur, Anthony Leduc

Crédits photos : Thierry Meneau, Arnaud Poilleux

Crédits vidéos : Neïla Beyler, Michèle Warnet

80.000

personnes

passent au Numa tous les ans...

1.600

événements

y sont organisés dans l'année

Les anciens entrepôts du boulevard McDonald, dans le 19e arrondissement, sont en train d'être réaménagés pour accueillir le plus grand incubateur parisien,
à partir de la fin de l'année, sur 15.000 m2. A l'intérieur : bureaux, espaces de détente, de rencontre, cafétéria...

Xavier Niel, fondateur de Free

“J’ai commencé ma vie d’entrepreneur à une époque où il n’y avait pas d’incubateur. On prenait un appartement où on installait ses ordinateurs, c’était la version parisienne des garages californiens !”

Pour son projet à la Halle Freyssinet, Xavier Niel aura investi
​au total 200 millions d'euros. 

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Au-delà de cet accompagnement, les start-up viennent aussi chercher un environnement de travail. Au contact d’autres start-up, elles peuvent confronter leurs idées, s’entraider, trouver des développeurs, des expertises qu’elles n’ont pas… “En plus de l’accompagnement, du mentorat qu’elles peuvent trouver, les start-up se confrontent à leurs homologues. Sans oublier que nous favorisons le réseautage: 80.000 personnes passent au NuMa tous les ans, et nous organisons 1.600 événements dans l’année”, explique Elise Nebout. Impression confirmée par le symbole du secteur en France, Xavier Niel : “J’ai commencé ma vie d’entrepreneur à une époque où il n’y avait pas d’incubateur. On prenait un appartement où on installait ses ordinateurs, c’était la version parisienne des garages californiens!, raconte le patron de Free. Ce n’était pas très simple de rencontrer d’autres entrepreneurs, de comparer ses projets, c’est un autre avantage des incubateurs de faciliter les rencontres.”

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Certains sont toutefois conscients des limites du système et travaillent sur des dispositifs un peu différents. “Sur une promotion d’une douzaine de start-up, on a affaire à des sociétés qui n’ont pas les mêmes besoins d’accompagnement, ajoute Elise Nebout. Nous réfléchissons donc à une nouvelle formule qui s’adapte à ces différents stades.” 

L’école Epitech, qui forme des experts du Net depuis des années, a, elle, créé une nouvelle structure dénommée, de manière un peu provocatrice, “l’anti-incubateur”. Punchline: “zéro bullshit”. Le message est clair. “L’idée n’est pas de dénigrer les incubateurs. La solitude des entrepreneurs, c’est un vrai sujet. Mais nous voulions renverser la logique et remettre les experts au centre du dispositif”, répond Emmanuel Carli, directeur général de l’Epitech. Résultat: toutes les semaines, l’école convoque des experts juridiques, administratifs, du marketing, de la communication, des entrepreneurs… Et toutes les start-up qui le veulent peuvent aller leur poser des questions, gratuitement.

Autre danger  de ce système: tourner en rond et oublier que l’un des objectifs principaux est aussi de sortir de l’incubateur. “Certaines start-up passent d’incubateur en incubateur, où on leur donne des avis contraires, explique Emmanuel Carli. Les entrepreneurs, parfois, ne savent plus quoi faire. Il faut alors repartir sur les bases: se concentrer sur le produit, avoir de quoi manger.” C’est aussi pour cette raison que les incubateurs se dotent, de plus en plus, de dispositifs complémentaires: fonds d’investissement, post-incubateurs, accélérateurs… Un faux débat pour Xavier Niel : “Plus il y a d’incubateurs, plus il y a de jeunes qui créent des boîtes, plus il y a de succès qui inspirent les jeunes et plus on a besoin d’incubateurs. On est dans un système vertueux. Ce n’est pas un hasard si les jeunes Californiens créent plus de start-up que les jeunes Texans: ils ont des exemples de réussite sous les yeux.”

Si  les incubateurs ont autant le vent en poupe, c’est aussi parce les autorités ont compris qu’ils avaient un rôle à jouer dans la vie de quartier. Le modèle du Sentier, dans le centre de Paris, qui s’est largement transformé ces dernières années, notamment avec la multiplication des entreprises du numérique dans le quartier, a donné des idées. “Ce type de projets s’inscrit dans une vision globale de la Ville, confirme Pierre Grange. Il s’agit de désenclaver certains quartiers, de leur apporter des services. Nous faisons attention à ne délaisser aucun aspect, c’est pour cela que le projet du boulevard Mc Donald, par exemple, prévoit des logements, un collège, des immeubles de bureaux…” La Mairie de Paris espère bien que ce projet mettra fin à la mauvaise réputation du quartier. Idem dans le 13e arrondissement, où la Halle Freyssinet a longtemps été un casse-tête en matière d’urbanisme. Avec le projet de Xavier Niel, qui doit voir le jour fin 2016 ou début 2017, le quartier pourrait être désenclavé.

L’entrepreneur  aura investi, au total, 200 millions d’euros dans la rénovation du lieu et la création du “plus grand incubateur au monde”. Avec une vraie réflexion sur l’environnement. “Pour qu’une ville fonctionne en matière d’incubation, il faut créer des lieux avec du foncier peu cher, pour y habiter et pour travailler. Avec la Halle Freyssinet c’est ce que l’on apporte et dans la continuité de ce projet, on crée aussi des logements et on abaisse les prix du marché”, explique Xavier Niel. Les commerçants des quartiers qui abriteront les futurs incubateurs se frottent déjà les mains.

Reste  la question de l’efficacité des incubateurs. “Il est encore un peu tôt pour avoir une vision complète du dispositif, le phénomène est récent, estime Pascale Massot. Mais je suis persuadée de ses bienfaits car cela participe au foisonnement autour de l’entrepreneuriat.” Et un indicateur ne trompe pas: le faible taux de mortalité des start-up passées par un incubateur. Quatre entreprises sur cinq passées par un incubateur de Paris&Co, l’organisme qui gère les incubateurs parisiens, est encore en vie. Quant à la course avec Londres et Berlin, pour le rôle de capitale européenne du numérique, elle est bien entamée sur un point: la création de start-up, qui serait supérieure dans la capitale française, même si la vie est souvent plus difficile après, les financements faisant défaut...